dimanche 1 novembre 2009

Entrainement à l’analyse de texte

Entrainement à l’analyse de texte
Analyser un texte = en extraire des informations jugées utiles ; parvenir à dire quelque chose en évitant le discours séparé et la paraphrase.

Texte 4, page 15 « Les effets de la guerre », Hannah Arendt

Lire une première fois le texte :

Point I
Analyse externe

1) Auteur
Connaître et situer précisément : profession, nationalité, biographie. Est-ce que l’auteur est bien placé pour parler de son sujet ? Est-ce que l’auteur est « légitime ». Questions.

2) Dates
Dates externes :
Dates de la biographie (reprise de ci-dessus), date de rédaction, date de première publication, dates suivantes, date du document que vous avez sous les yeux.
Dates internes :
Quelles dates et durées se trouvent dans le texte ?
(voir carte p. 13).
Parmi ces dates, quelles sont les plus importantes ? Quelles sont les dates qui apportent le plus de sens, de questions, d’intérêt ?

3) Où, lieux
Où publié ? Il faut savoir ou deviner où est publié Commentary.
Il faut savoir ou deviner ce qu’est Commentary.
Publié dans une revue, ou un livre ou un manuel ? Est-ce que la réponse à cette question nous donne une indication sur la stature du texte ?
Publié chez les vainqueurs ou les vaincus ?
Le texte concerne quels lieux ?

4) Sorte, nature
Est-ce un texte politique, juridique, journalistique, littéraire, est-ce un témoignage, etc.
Quelle dimension est donnée au témoignage (purement descriptif, purement philosophique) ?
Est-ce un texte entier ?
Pourquoi tel extrait (placé où dans le manuel) ?
Une fois la nature du texte établie, se demander ce que l’on peut s’attendre à trouver dans un texte de telle nature pour le traitement d’un tel sujet.

5) Destinataires
Qui a pu lire en premier ce texte ?
L’auteur pensait à quels lecteurs en écrivant ce texte (est-ce que l’on peut émettre des hypothèses utiles à ce sujet) ?
Comment caractériser ces premiers lecteurs (reprendre les données récoltées ci-dessus)?

6) Pourquoi
Lire une deuxième fois le texte.
Pourquoi publier ce témoignage ?
Est-ce que c’est rare de visiter l’Allemagne en 1950 ?
Est-ce que l’on connaît l’Allemagne détruite (est-ce qu’il y a des films sur le sujet) ?

Conclusion au point I :
Avec toutes ces réponses, on ouvre le texte, on ouvre tout un champ de possibilités sémantiques que l’on va explorer avec la suite de l’analyse.

Quel « sentiment » se dégage du texte ? Quelle est la « situation » du texte (par exemple un vainqueur qui parle aux vaincus, ou un vaincu qui se révolte contre sa défaite, ou un vaincu qui demande pardon, etc.) Est-ce un texte accusateur ? Est-ce un texte de contrition ? Est-ce un texte de menace, d’avertissement, de direction d’idées ou de réflexion, un texte agressif ou un texte sur la défensive, etc. Répondre sur la base des données externes.

Point II
Contexte historique
Pour l’instant ne pas suivre de trop près ce qu’il y a dans le texte. En gros, le texte se réfère à quels événements?

Quelle était la situation historique quand l’auteur a écrit ?

Truc : Etablir un niveau général et un niveau particulier.
P. ex. division de type chronologique : la 2GM en général, et la fin de la guerre en particulier.
Ou division de type géographique : les conséquences de la guerre dans le monde ou en Europe, et les conséquences de la guerre sur l’Allemagne en particulier.

Faire ces deux contextes historiques.
Exemple (en utilisant ce que nous avons vu dans le cours) :

Que savez-vous de la 2GM ? Faite un petit texte là-dessus. Ne doit pas reprendre les informations contenues dans le texte. Que savez-vous de la fin de la 2GM en Allemagne? Faite un petit texte là-dessus . Ne doit pas se référer aux informations contenues dans le texte.
Il s’agit de dire ce que VOUS savez sur le sujet (et non pas ce que le texte dit sur le sujet).

2GM en général
La paix d’après la 1GM est rompue par les agressions japonaise, italienne et allemande dès 1931.
Les déclarations de guerres successives aboutissent à la constituions de deux grands camps : les futurs Alliés d’une part et les forces de l’Axe d’autre part.
Dans un premier temps (jusqu’en 1942 environ), les forces de l’Axe volent de victoires en victoires occupant presque toute l’Europe et une bonne partie de l’Asie.
Mais à partir 1943, l’économie de guerre et les efforts de plus en plus coordonnés dans le camp allié (auquel finalement une cinquantaine de pays participent) finissent par épuiser l’Axe. De chaque côté, on se livre à une guerre totale, en recourant aux pires destructions grâce à des armes de plus en plus destructrices.
Parmi les horreurs de cette guerre on découvrira l’extermination de populations entières dont l’exemple le plus tragique est celui des Juifs d’Europe.
La fin de la 2GM laisse un monde totalement dévasté, à l’économie complètement désorganisée, dans les pays vaincus et dans plusieurs pays vainqueurs. La famine, les marches de la faim et le rationnement dureront jusque vers 1948. Mais les Etats-Unis et les pays neutres ont aussi profité matériellement du conflit.

La fin de la guerre en Allemagne
En Allemagne, les destructions sont particulièrement radicales, les villes, les centres industriels, l’organisation de l’Etat, tout est en lambeaux. Le pays en ruines est divisé, occupé. Les Allemands sont placés en face de leurs responsabilités. Crise matérielle, crise morale. Allemagne année zéro.

Grâce à ces deux contextes historiques, on révèle le niveau auquel se situe notre analyse. On montre d’où l’on part pour établir des interprétations sur le texte.

Tout ce que on a fait jusqu’ici, c’est du travail d’historien, c’est une démarche scientifique (suivre une méthode explicite) mais ce n’est pas « la vérité » historique ou la « vérité » sur le texte analysé. Pour l’instant, on a produit de la transparence sur notre analyse.

Point III
Critique interne

Idée principale
Lire une nouvelle fois l’extrait.

Maintenant, on entre dans le texte.

Quel est le thème principal de l’extrait de texte ?
Qu’est-ce que on va aller puiser dans ce texte ?

Les effets de la guerre (titre de l’extrait) ?
Bilan et conséquences de la seconde guerre mondiale (titre du chapitre où se trouve l’article) ?
Les mémoires de la seconde guerre mondiale (titre du chapitre durant lequel ce texte est utilisé par le maître) ?
L’Europe endeuillée ?
Les effets de la guerre en Allemagne ?
La question : libération et effondrement ?
Le monde d’après 1945 est catastrophique et moderne ?
La destruction des structures morales de l’Occident ?

Il faut se décider. Il y a plusieurs possibilités. Certaines plus pertinentes que d’autres.


Prenons « la destruction des structures morales de l’Occident » et essayons de diviser le texte en 3 champs sémantiques : Occident, destructions matérielles, destructions morales.

Sert à nous diriger vers une interprétation.



Point IV
Le commentaire composé

Dans notre exemple:
Les mots-clés qui correspondent à « Occident » (7) ;
Les mots-clés qui correspondent à « destructions matérielles» (8) ;
Les mots-clés qui correspondent à « structures morales », on va dire, ici, correspondant à « destructions morales » (5).
Inscrire en trois colonnes tous les mots-clés.

Classer ces mots-clés, par exemple par ordre chronologique, géographique ou thématique, par ordre croissant ou décroissant, etc.

Par exemple, je divise la liste « destructions matérielles » en 3 :
Actions : détruisit et réduisirent en cendres
Extension : le pays ravagé, villes détruites, camps.
Intensité : crimes, tableau catastrophique.

Cette étape est purement mécanique, elle sert à nous faire enter dans le texte, dans ses champs sémantiques. On ne peut pas entrer dans le texte autrement.

Sert aussi à nous diriger vers une interprétation.

Par exemple, la liste classée des mots-clés pour la catégorie « Occident » donne (selon moi, mais cela peut être différent) : L’Allemagne, villes en Allemagne, histoire allemande, Europe, vainqueurs, monde occidental, notre mémoire.

Avec ces catégories, ces classements, on essaie de trouver des réponses à des questions telles que : Comment est définit l’Occident dans ce texte ? Qui est l’Occident selon ce texte ?

L’étendue de la destruction de l’Allemagne ?
Qui sont les acteurs (les responsables, les garants, les leaders) ?
Qu’est ce qui peut prendre forme à partir de ces destructions à la fois matérielles et morales ?

On peut maintenant passer au point V, l’analyse, l’interprétation, la conclusion.

La méthode des mots-clés:
Si on ne parvient pas à faire ce point IV à l’aide de la méthodologie du commentaire composé, on peut le remplacer par la recherche de réponses à une batterie de questions :

Parle de « nous »
Parle de « moderne »
Parle de « deux traumatismes »
Parle de « mémoire »
Parle de « la crainte de guerres futures »
Que signifie chacun de ces termes ?
« Notre mémoire », la mémoire de qui ?
Pourquoi « des » guerres futures ? A quelles guerres pense l’auteur ?
La « crainte des guerres futures », cela veut dire peur des guerres nucléaires ou peur de la guerre tout court, donc appel au pacifisme ? Quel pacifisme ? Pacifisme genre ONU ? Pacifisme de la Guerre froide (genre « Les pacifistes sont à l’ouest, les missiles à l’est ») ?

Autres questions:
Quels sont les effets de la guerre annoncés par le titre ?
Est ce que ce texte constate ou annonce la mémoire et la peur ?
Qui sont ceux qui « réduisirent en cendres les hauts lieux d’une histoire… » ?
Est ce que, selon ce texte, « les territoires de l’Est, les Balkans, l’Europe de l’Est » font partie du monde occidental ou non ?

Avec des réponses à ces questions, on peut tenter une synthèse en point V. Mais cela semble plus difficile, car abondance d'informations non reliées dans une interprétation explicite.

Point V
Conclusion

Etant donné que nous utilisons ce texte dans le chapitre « les mémoires de la seconde guerre mondiale », nous pouvons proposer le commentaire suivant :

De même que l’Occident comprend les vaincus et les vainqueurs (l’Allemagne, villes en Allemagne, histoire allemande, Europe, vainqueurs, monde occidental, notre mémoire), de même la réduction en cendres des villes allemandes répond aux destructions allemandes dans les camps d’extermination.

L’Occident est à la fois responsable des crimes (l’Allemagne) et source d’une nouvelle perception de l’histoire à partir de ces crimes (vainqueurs, mémoire).

Les contradictions de l’Occident et ses destructions abominables conduisent à un troisième niveau moral où « notre mémoire » est appelée à prendre forme.

Comme on l’a vu dès le point I, c’est un texte très important, écrit par une personne exceptionnelle. Un texte très important car repris sans cesse depuis sa parution dans des ouvrages de plus en plus officiels (revues, livres, manuels d’histoire). Un texte phare sur l’après-guerre, sur le monde occidental vu à partir de l’expérience de la guerre.

Un texte phare aussi car écrit par une personne entièrement légitime pour traiter cette période (le monde occidental après la 2GM).

Ce texte, rédigé par une personnalité exceptionnelle pour un témoignage exceptionnel, à la fois légitime (la voix des victimes) et empathique (elle est proche de la culture allemande) donne à voir le surgissement, le début de ce que va être la sensibilité historique du deuxième XXe siècle (le passage de la mémoire héroïque à la mémoire des victimes). On voit avec ce texte de 1950, une vision de l’histoire qui part du constat de la 2GM, qui est guidée par un groupe légitime (le « nous » du texte, c’est-à-dire les victimes et tous ceux qui s’y rallient), et qui met l’accent sur la culpabilité et par conséquent appelle de ses vœux le devoir de mémoire et de pacifisme.

Lire une dernière fois le texte.



Point VI
Historiographie

Ceci n’est que le tout début de l’analyse. On peut la continuer de manière presque infinie. Une des premières pistes suivantes serait de comparer ce témoignage-appel à d’autres prises de positions de l’époque.


Manuel de référence :

AAVV, HistoirelGeschichte – L’Europe et le monde depuis 1945, Paris: Nathan, 2006.

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